Page:Zola - La Débâcle.djvu/135

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doux !… Toute petite, une figure mince, et pas bruyante, ah ! non !… Ma chère Henriette !

— Vous vous aimez bien ?

— Oui, oui…

Il y eut un silence, et Jean, ayant regardé Maurice, remarqua que ses yeux se fermaient et qu’il allait tomber.

— Hé ! mon pauvre petit… Tiens-toi, tonnerre de Dieu !… Donne-moi ton flingot un instant, ça te reposera… Nous allons laisser la moitié des hommes en route, ce n’est pas Dieu possible qu’on aille plus loin aujourd’hui !

En face, il venait d’apercevoir Oches, dont les quelques masures s’étagent sur un coteau. L’église, toute jaune, haut perchée, domine, parmi des arbres.

— C’est là que nous allons coucher, bien sûr.

Et il avait deviné. Le général Douay, qui voyait l’extrême fatigue des troupes, désespérait de jamais atteindre la Besace, ce jour-là. Mais ce qui le décida surtout, ce fut l’arrivée du convoi, de ce fâcheux convoi qu’il traînait depuis Reims, et dont les trois lieues de voitures et de bêtes alourdissaient si terriblement sa marche. De Quatre-Champs, il avait donné l’ordre de le diriger directement sur Saint-Pierremont ; et c’était seulement à Oches que les attelages ralliaient le corps, dans un tel état d’épuisement, que les chevaux refusaient d’avancer. Il était déjà cinq heures. Le général, craignant de s’engager dans le défilé de Stonne, crut devoir renoncer à achever l’étape indiquée par le maréchal. On s’arrêta, on campa, le convoi en bas, dans les prairies, gardé par une division, tandis que l’artillerie s’établissait en arrière, sur les coteaux, et que la brigade qui devait servir d’arrière-garde le lendemain, restait sur une hauteur, en face de Saint-Pierremont. Une autre division, dont faisait partie la brigade Bourgain-Desfeuilles, bivouaqua, derrière l’église, sur un large plateau, que bordait un bois de chênes.