Page:Zola - La Débâcle.djvu/144

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bois. On aurait dit une mer sans fin, aux vagues énormes et lentes. Les forêts tachaient de vert sombre les terres jaunes, tandis que les coteaux lointains, sous l’ardent soleil, se noyaient dans une vapeur rousse. Et, sans qu’on aperçût rien, pas même une petite fumée au fond du ciel clair, le canon tonnait toujours, tout un fracas d’orage éloigné et grandissant.

— Voici Sommauthe à droite, finit par dire Sambuc, en désignant un haut sommet, couronné de verdure. Yoncq est là, sur la gauche… C’est à Beaumont qu’on se bat, mon général.

— Oui, à Varniforêt ou à Beaumont, confirma Ducat.

Le général mâchait de sourdes paroles.

— Beaumont, Beaumont, on ne sait jamais dans ce sacré pays…

Puis, tout haut :

— Et à combien ce Beaumont est-il d’ici ?

— À une dizaine de kilomètres, en allant prendre la route du Chêne à Stenay, qui passe là-bas.

Le canon ne cessait pas, semblait avancer de l’ouest à l’est, dans un roulement ininterrompu de foudre. Et Sambuc ajouta :

— Bigre ! ça chauffe… Je m’y attendais, je vous avais prévenu ce matin, mon général : c’est sûrement les batteries que nous avons vues dans les bois de Dieulet. À cette heure, le 5e corps doit avoir sur les bras toute cette armée qui arrivait par Buzancy et par Beauclair.

Un silence se fit, pendant lequel la bataille, au loin, grondait plus haut. Et Maurice serrait les dents, pris d’une furieuse envie de crier. Pourquoi ne marchait-on pas au canon, tout de suite, sans tant de paroles ? Jamais il n’avait éprouvé une excitation pareille. Chaque coup lui répondait dans la poitrine, le soulevait, le jetait au besoin immédiat d’être là-bas, d’en être, d’en finir. Est-ce qu’ils allaient encore longer cette bataille, la toucher du