Page:Zola - La Débâcle.djvu/157

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qu’il promenait ensuite au travers des villages, dans sa carriole.

Maurice, en approchant, restait surpris de n’apercevoir aucune lumière.

— Ah ! le vieil avare, il aura tout barricadé, il n’ouvrira pas.

Mais un spectacle l’arrêta sur la route. Devant la ferme, s’agitaient une douzaine de soldats, des maraudeurs, sans doute des affamés qui cherchaient fortune. D’abord, ils avaient appelé, puis frappé ; et maintenant, voyant la maison noire et silencieuse, ils tapaient dans la porte à coups de crosse, pour en faire sauter la serrure. De grosses voix grondaient.

— Nom de Dieu ! va donc ! fous-moi ça par terre, puisqu’il n’y a personne !

Brusquement, le volet d’une lucarne de grenier se rabattit, un grand vieillard en blouse, tête nue, apparut, une chandelle dans une main, un fusil dans l’autre. Sous sa rude chevelure blanche, sa face se carrait, coupée de larges plis, le nez fort, les yeux gros et pâles, le menton volontaire.

— Vous êtes donc des voleurs que vous cassez tout ! cria-t-il d’une voix dure. Qu’est-ce que vous voulez ?

Les soldats, un peu interdits, se reculaient.

— Nous crevons de faim, nous voulons à manger.

— Je n’ai rien, pas une croûte… Est-ce que vous croyez, comme ça, qu’on en a pour nourrir des cent mille hommes… Ce matin, il y en a d’autres, oui ! de ceux au général Ducrot, qui ont passé et qui m’ont tout pris.

Un à un, les soldats se rapprochaient.

— Ouvrez toujours, nous nous reposerons, vous trouverez bien quelque chose…

Et déjà ils tapaient de nouveau, lorsque le vieux, posant le chandelier sur l’appui, épaula son arme.