Page:Zola - La Débâcle.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Fouchard avait fini par se planter derrière Jean, étonné de voir les bouchées disparaître. Et, froidement goguenard :

— Hein ! ça va mieux ?

Le caporal leva la tête, répondit avec sa même carrure de paysan :

— Ça commence, merci bien !

Honoré, depuis qu’il était là, malgré sa grosse faim, s’arrêtait parfois, tournait la tête, à un bruit qu’il croyait entendre. Si, après tout un combat, il avait manqué à son serment de ne plus jamais remettre les pieds dans cette maison, c’était poussé par l’irrésistible désir de revoir Silvine. Il gardait sous sa chemise, contre sa peau même, la lettre qu’il avait reçue d’elle à Reims, cette lettre si tendre où elle lui disait qu’elle l’aimait toujours, qu’elle n’aimerait jamais que lui, malgré le cruel passé, malgré Goliath et le petit Charlot qu’elle avait eu de cet homme. Et il ne pensait plus qu’à elle, et il s’inquiétait de ne pas l’avoir encore vue, tout en se raidissant, pour ne pas montrer son anxiété à son père. Mais la passion l’emporta, il demanda, d’une voix qu’il s’efforçait de rendre naturelle :

— Et Silvine, elle n’est donc plus ici ?

Fouchard eut, sur son fils, un regard oblique, luisant d’un rire intérieur.

— Si, si.

Puis, il se tut, cracha longuement ; et l’artilleur dut reprendre, après un silence :

— Alors, elle est couchée ?

— Non, non.

Enfin, le vieux daigna expliquer qu’il était tout de même allé, le matin, au marché de Raucourt, avec sa carriole, en emmenant sa servante. Ce n’était pas une raison, parce qu’il passait des soldats, pour que le monde cessât de manger de la viande et pour qu’on ne fît plus ses affaires. Il avait donc, comme tous les mardis, emporté