Page:Zola - La Débâcle.djvu/187

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les vit nettement se serrer les doigts ; et elle ne douta plus.

Mais une servante venait de paraître.

— Monsieur, il y a, en bas, un soldat qui demande l’adresse de monsieur Weiss.

Delaherche n’était pas fier, comme on disait, aimant à causer avec les petits de ce monde, par un goût bavard de la popularité.

— L’adresse de Weiss, tiens ! c’est drôle… Faites entrer ce soldat.

Jean entra, si épuisé, qu’il vacillait. En apercevant son capitaine, attablé avec deux dames, il eut un léger sursaut de surprise, il retira la main qu’il avançait machinalement déjà, pour s’appuyer à une chaise. Puis, il répondit brièvement aux questions du fabricant, qui faisait le bon homme, ami du soldat. D’un mot, il expliqua sa camaraderie avec Maurice, et pourquoi il le cherchait.

— C’est un caporal de ma compagnie, finit par dire le capitaine, afin de couper court.

À son tour, il l’interrogea, désireux de savoir ce que le régiment était devenu. Et, comme Jean racontait qu’on venait de voir le colonel traverser la ville, à la tête de ce qu’il lui restait d’hommes, pour aller camper au nord, Gilberte, de nouveau, parla trop vite, avec sa vivacité de jolie femme, qui ne réfléchissait guère.

— Oh ! mon oncle, pourquoi n’est-il pas venu déjeuner ici ? On lui aurait préparé une chambre… Si l’on envoyait le chercher ?

Mais madame Delaherche eut un geste de souveraine autorité. Dans ses veines coulait le vieux sang bourgeois des villes frontières, toutes les mâles vertus d’un patriotisme rigide. Elle ne rompit la sévérité de son silence que pour dire :

— Laissez monsieur de Vineuil, il est à son devoir.

Cela causa un malaise. Delaherche emmena le capi-