Page:Zola - La Débâcle.djvu/192

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Lui, depuis le matin, battait Sedan et les environs. Il venait seulement de rentrer, désolé de l’inaction des troupes, de cette journée du 31, si précieuse, perdue dans une attente inexplicable. Une seule excuse était possible, la fatigue extrême des hommes, leur besoin absolu de repos ; et encore ne comprenait-il pas que la retraite n’eût pas continué, après les quelques heures de sommeil nécessaire.

— Moi, reprit-il, je n’ai pas la prétention de m’y entendre, mais je sens, oui ! je sens que l’armée est très mal plantée à Sedan… Le 12e corps se trouve à Bazeilles, où l’on s’est un peu battu, ce matin ; le 1er est tout le long de la Givonne, du village de la Moncelle au bois de la Garenne ; tandis que le 7e campe sur le plateau de Floing, et que le 5e, à moitié détruit, s’entasse sous les remparts mêmes, du côté du Château… Et c’est cela qui me fait peur, de les savoir tous rangés ainsi autour de la ville, attendant les Prussiens. J’aurais filé, moi, oh ! tout de suite, sur Mézières. Je connais le pays, il n’y a pas d’autre ligne de retraite, ou bien on sera culbuté en Belgique… Puis, tenez ! venez voir quelque chose…

Il avait pris la main de Jean, il l’amenait devant la fenêtre.

— Regardez là-bas, sur la crête des coteaux.

Par-dessus les remparts, par-dessus les constructions voisines, la fenêtre s’ouvrait, au sud de Sedan, sur la vallée de la Meuse. C’était le fleuve se déroulant dans les vastes prairies, c’était Remilly à gauche, Pont-Maugis et Wadelincourt en face, Frénois à droite ; et les coteaux étalaient leurs pentes vertes, d’abord le Liry, ensuite la Marfée et la Croix-Piau, avec leurs grands bois. Sous le jour finissant, l’immense horizon avait une douceur profonde, d’une limpidité de cristal.

— Vous ne voyez pas, là-bas, le long des sommets, ces lignes noires en marche, ces fourmis noires qui défilent ?