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rois à la Meuse et de passer sur eux pour reprendre le chemin de Carignan.

Weiss, qui, d’un petit coup sec, remontait ses lunettes à chaque seconde, expliquait la position au lieutenant, toujours assis contre la porte, avec ses deux jambes coupées, très pâle et agonisant du sang qu’il perdait.

— Mon lieutenant, je vous assure que j’ai raison… Dites à vos hommes de ne pas lâcher. Vous voyez bien que nous sommes victorieux. Encore un effort, et nous les flanquons à la Meuse !

En effet, la deuxième attaque des Bavarois venait d’être repoussée. Les mitrailleuses avaient de nouveau balayé la place de l’Église, des entassements de cadavres y barraient le pavé, au grand soleil ; et, de toutes les ruelles, à la baïonnette, on rejetait l’ennemi dans les prés, une débandade, une fuite vers le fleuve, qui se serait à coup sûr changée en déroute, si des troupes fraîches avaient soutenu les marins, déjà exténués et décimés. D’autre part, dans le parc de Montivilliers, la fusillade n’avançait guère, ce qui indiquait que, de ce côté aussi, des renforts auraient dégagé le bois.

— Dites à vos hommes, mon lieutenant… À la baïonnette ! à la baïonnette !

D’une blancheur de cire, la voix mourante, le lieutenant eut encore la force de murmurer :

— Vous entendez, mes enfants, à la baïonnette !

Et ce fut son dernier souffle, il expira, la face droite et têtue, les yeux ouverts, regardant toujours la bataille. Des mouches déjà volaient et se posaient sur la tête broyée de Françoise ; tandis que le petit Auguste, dans son lit, pris du délire de la fièvre, appelait, demandait à boire, d’une voix basse et suppliante.

— Mère, réveille-toi, relève-toi… J’ai soif, j’ai bien soif…

Mais les ordres étaient formels, les officiers durent