Page:Zola - La Débâcle.djvu/236

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Il eut un frisson, se secoua pour sortir de son idée fixe, en répétant d’un air calme :

— Oui, c’est embêtant, je serai tué aujourd’hui.

Personne ne parlait plus, l’attente continua. On ne savait même pas si l’on tournait le dos ou la face à l’ennemi. Des bruits vagues, par moments, venaient de l’inconnu du brouillard : grondements de roues, piétinements de foule, trots lointains de chevaux. C’étaient les mouvements de troupes que la brume cachait, toute l’évolution du 7e corps en train de prendre ses positions de combat. Mais, depuis un instant, il semblait que les vapeurs devinssent plus légères. Des lambeaux s’enlevaient comme des mousselines, des coins d’horizon se découvraient, troubles encore, d’un bleu morne d’eau profonde. Et ce fut, dans une de ces éclaircies, qu’on vit défiler, tels qu’une chevauchée de fantômes, les régiments de chasseurs d’Afrique qui faisaient partie de la division Margueritte. Raides sur la selle, avec leurs vestes d’ordonnance, leurs larges ceintures rouges, ils poussaient leurs chevaux, des bêtes minces, à moitié disparues sous la complication du paquetage. Après un escadron, un autre escadron ; et tous, sortis de l’incertain, rentraient dans l’incertain, avaient l’air de se fondre sous la pluie fine. Sans doute, ils gênaient, on les emmenait plus loin, ne sachant qu’en faire, ainsi que cela arrivait depuis le commencement de la campagne. À peine les avait-on employés comme éclaireurs, et, dès que le combat s’engageait, on les promenait de vallon en vallon, précieux et inutiles.

Maurice regardait, en songeant à Prosper.

— Tiens ! murmura-t-il, c’est peut-être lui, là-bas.

— Qui donc ? demanda Jean.

— Ce garçon de Remilly, tu sais bien, dont nous avons rencontré le frère à Oches.

Mais les chasseurs étaient passés, et il y eut encore un brusque galop, un état-major qui dévalait par le chemin