Page:Zola - La Débâcle.djvu/267

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l’autre la besogne allait arriver, des voitures pleines de chair saignante ; et il installait violemment la grande salle encore vide. Puis, sous le hangar, ce furent d’autres préparatifs : les caisses de pansement et de pharmacie rangées, ouvertes sur une planche, des paquets de charpie, des bandes, des compresses, des linges, des appareils à fractures ; tandis que, sur une autre planche, à côté d’un gros pot de cérat et d’un flacon de chloroforme, les trousses s’étalaient, l’acier clair des instruments, les sondes, les pinces, les couteaux, les ciseaux, les scies, un arsenal, toutes les formes aiguës et coupantes de ce qui fouille, entaille, tranche, abat. Mais les cuvettes manquaient.

— Vous avez bien des terrines, des seaux, des marmites, enfin ce que vous voudrez… Nous n’allons pas nous barbouiller de sang jusqu’au nez, bien sûr !… Et des éponges, tâchez de m’avoir des éponges !

Madame Delaherche se hâta, revint suivie de trois servantes, les bras chargés de toutes les terrines qu’elle avait pu trouver. Debout devant les trousses, Gilberte avait appelé Henriette d’un signe, en les lui montrant avec un léger frisson. Toutes deux se prirent la main, restèrent là, silencieuses, mettant dans leur étreinte la sourde terreur, la pitié anxieuse qui les bouleversaient.

— Hein ? ma chère, dire qu’on pourrait vous couper quelque chose !

— Pauvres gens !

Sur la grande table, Bouroche venait de faire placer un matelas, qu’il garnissait d’une toile cirée, lorsqu’un piétinement de chevaux se fit entendre sous le porche. C’était une première voiture d’ambulance, qui entra dans la cour. Mais elle ne contenait que dix petits blessés, assis face à face, la plupart ayant un bras en écharpe, quelques-uns atteints à la tête, le front bandé. Ils descendirent, simplement soutenus ; et la visite commença.