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Comme Henriette aidait doucement un soldat tout jeune, l’épaule traversée d’une balle, à retirer sa capote, ce qui lui arrachait des cris, elle remarqua le numéro de son régiment.

— Mais vous êtes du 106e ! Est-ce que vous appartenez à la compagnie Beaudoin ?

Non, il était de la compagnie Ravaud. Mais il connaissait tout de même le caporal Jean Macquart, il crut pouvoir dire que l’escouade de celui-ci n’avait pas encore été engagée. Et ce renseignement, si vague, suffit pour donner de la joie à la jeune femme : son frère vivait, elle serait tout à fait soulagée, lorsqu’elle aurait embrassé son mari, qu’elle continuait à attendre d’une minute à l’autre.

À ce moment, Henriette, ayant levé la tête, fut saisie d’apercevoir, à quelques pas d’elle, au milieu d’un groupe, Delaherche, racontant les terribles dangers qu’il venait de courir, de Bazeilles à Sedan. Comment se trouvait-il là ? Elle ne l’avait pas vu entrer.

— Et mon mari n’est pas avec vous ?

Mais Delaherche, que sa mère et sa femme questionnaient complaisamment, ne se hâtait point.

— Attendez, tout à l’heure.

Puis, reprenant son récit :

— De Bazeilles à Balan, j’ai failli être tué vingt fois. Une grêle, un ouragan de balles et d’obus !… Et j’ai rencontré l’empereur, oh ! très brave… Ensuite, de Balan ici, j’ai pris ma course…

Henriette lui secoua le bras.

— Mon mari ?

— Weiss ? mais il est resté là-bas, Weiss !

— Comment, là-bas ?

— Oui, il a ramassé le fusil d’un soldat mort, il se bat.

— Il se bat, pourquoi donc ?

— Oh ! un enragé ! Jamais il n’a voulu me suivre, et je l’ai lâché, naturellement.