Page:Zola - La Débâcle.djvu/274

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en avant, il y avait un homme seul, l’air sec et mince, à l’uniforme sans éclat, dans lequel pourtant il sentit le maître. C’était bien le roi de Prusse, à peine haut comme la moitié du doigt, un de ces minuscules soldats de plomb des jouets d’enfant. Il n’en fut du reste certain que plus tard, il ne l’avait plus quitté de l’œil, revenant toujours à cet infiniment petit, dont la face, grosse comme une lentille, ne mettait qu’un point blême sous le vaste ciel bleu.

Il n’était pas midi encore, le roi constatait la marche mathématique, inexorable de ses armées, depuis neuf heures. Elles allaient, elles allaient toujours selon les chemins tracés, complétant le cercle, refermant pas à pas, autour de Sedan, leur muraille d’hommes et de canons. Celle de gauche, venue par la plaine rase de Donchery, continuait à déboucher du défilé de Saint-Albert, dépassait Saint-Menges, commençait à gagner Fleigneux ; et il voyait distinctement, derrière le xie corps violemment aux prises avec les troupes du général Douay, se couler le ve corps, qui profitait des bois pour se diriger sur le calvaire d’Illy ; tandis que des batteries s’ajoutaient aux batteries, une ligne de pièces tonnantes sans cesse prolongée, l’horizon entier peu à peu en flammes. L’armée de droite occupait désormais tout le vallon de la Givonne, le xiie corps s’était emparé de la Moncelle, la garde venait de traverser Daigny, remontant déjà le ruisseau, en marche également vers le calvaire, après avoir forcé le général Ducrot à se replier derrière le bois de la Garenne. Encore un effort, et le prince royal de Prusse donnerait la main au prince royal de Saxe, dans ces champs nus, à la lisière même de la forêt des Ardennes. Au sud de la ville, on ne voyait plus Bazeilles, disparu dans la fumée des incendies, dans la fauve poussière d’une lutte enragée.

Et le roi, tranquille, regardait, attendait depuis le ma-