Page:Zola - La Débâcle.djvu/310

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pour ne pas rester inutilement exposés, dans l’enfilade du tir.

Mais Honoré s’occupait du chargement de sa pièce. Les deux servants du centre revenaient déjà de chercher la gargousse et le projectile au caisson, où veillaient le brigadier et l’artificier ; et, tout de suite, les deux servants de la bouche, après avoir introduit la gargousse, la charge de poudre enveloppée de serge, qu’ils poussèrent soigneusement à l’aide du refouloir, glissèrent de même l’obus, dont les ailettes grinçaient le long des rainures. Vivement, l’aide-pointeur, ayant mis la poudre à nu d’un coup de dégorgeoir, enfonça l’étoupille dans la lumière. Et Honoré voulut pointer lui-même ce premier coup, à demi couché sur la flèche, manœuvrant la vis de réglage pour trouver la portée, indiquant la direction, d’un petit geste continu de la main, au pointeur, qui, en arrière, armé du levier, poussait insensiblement la pièce plus à droite ou plus à gauche.

— Ça doit y être, dit-il en se relevant.

Le capitaine, son grand corps plié en deux, vint vérifier la hausse. À chaque pièce, l’aide-pointeur tenait en main la ficelle, prêt à tirer le rugueux, la lame en dents de scie qui allumait le fulminate. Et les ordres furent criés, par numéros, lentement :

— Première pièce, feu !… Deuxième pièce, feu !…

Les six coups partirent, les canons reculèrent, furent ramenés, pendant que les maréchaux des logis constataient que leur tir était beaucoup trop court. Ils le réglèrent, et la manœuvre recommença, toujours la même, et c’était cette lenteur précise, ce travail mécanique fait avec sang-froid, qui maintenait le moral des hommes. La pièce, la bête aimée, groupait autour d’elle une petite famille, que resserrait une occupation commune. Elle était le lien, le souci unique, tout existait pour elle, le caisson, les voitures, les chevaux, les hommes. De là