Page:Zola - La Débâcle.djvu/321

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continuaient de galoper, revenaient d’eux-mêmes à leur place de combat, pour retourner au feu d’un train fou, comme attirés par la poudre. La charge fut reprise, le deuxième escadron s’avançait dans une furie grandissante, les hommes couchés sur l’encolure, tenant le sabre au genou, prêts à sabrer. Deux cents mètres encore furent franchis, au milieu de l’assourdissante clameur de tempête. Mais, de nouveau, sous les balles, le centre se creusait, les hommes et les bêtes tombaient, arrêtaient la course, de l’inextricable embarras de leurs cadavres. Et le deuxième escadron fut ainsi fauché à son tour, anéanti, laissant la place à ceux qui le suivaient.

Alors, dans l’entêtement héroïque, lorsque la troisième charge se produisit, Prosper se trouva mêlé à des hussards et à des chasseurs de France. Les régiments se confondaient, ce n’était plus qu’une vague énorme qui se brisait et se reformait sans cesse, pour remporter tout ce qu’elle rencontrait. Il n’avait plus notion de rien, il s’abandonnait à son cheval, ce brave Zéphir qu’il aimait tant et qu’une blessure à l’oreille semblait affoler. Maintenant, il était au centre, d’autres chevaux se cabraient, se renversaient autour de lui, des hommes étaient jetés à terre, comme par un coup de vent, tandis que d’autres, tués raides, restaient en selle, chargeaient toujours, les paupières vides. Et, cette fois, derrière les deux cents mètres que l’on gagna de nouveau, les chaumes reparurent couverts de morts et de mourants. Il y en avait dont la tête s’était enfoncée en terre. D’autres, tombés sur le dos, regardaient le soleil avec des yeux de terreur, sortis des orbites. Puis, c’était un grand cheval noir, un cheval d’officier, le ventre ouvert et qui tâchait vainement de se remettre debout, les deux pieds de devant pris dans ses entrailles. Sous le feu qui redoublait, les ailes tourbillonnèrent une fois encore, se replièrent pour revenir acharnées.