Page:Zola - La Débâcle.djvu/322

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Enfin, ce ne fut que le quatrième escadron, à la quatrième reprise, qui tomba dans les lignes prussiennes. Prosper, le sabre haut, tapa sur des casques, sur des uniformes sombres, qu’il voyait dans un brouillard. Du sang coulait, il remarqua que Zéphir avait la bouche sanglante, et il s’imagina que c’était d’avoir mordu dans les rangs ennemis. La clameur autour de lui devenait telle, qu’il ne s’entendait plus crier, la gorge arrachée pourtant par le hurlement qui devait en sortir. Mais, derrière la première ligne prussienne, il y en avait une autre, et puis une autre, et puis une autre. L’héroïsme demeurait inutile, ces masses profondes d’hommes étaient comme des herbes hautes où chevaux et cavaliers disparaissaient. On avait beau en raser, il y en avait toujours. Le feu continuait avec une telle intensité, à bout portant, que des uniformes s’enflammèrent. Tout sombra, un engloutissement parmi les baïonnettes, au milieu des poitrines défoncées et des crânes fendus. Les régiments allaient y laisser les deux tiers de leur effectif, il ne restait de cette charge fameuse que la glorieuse folie de l’avoir tentée. Et, brusquement, Zéphir, atteint d’une balle en plein poitrail, s’abattit, écrasant sous lui la hanche droite de Prosper, dont la douleur fut si vive, qu’il perdit connaissance.

Maurice et Jean, qui avaient suivi l’héroïque galop des escadrons, eurent un cri de colère :

— Tonnerre de Dieu, ça ne sert à rien d’être brave !

Et ils continuèrent à décharger leur chassepot, accroupis derrière les broussailles du petit mamelon, où ils se trouvaient en tirailleurs. Rochas lui-même, qui avait ramassé un fusil, faisait le coup de feu. Mais le plateau d’Illy était bien perdu cette fois, les troupes prussiennes l’envahissaient de toutes parts. Il pouvait être environ deux heures, la jonction s’achevait enfin, le ve corps et la garde venaient de se rejoindre, fermant la boucle.

Jean, tout d’un coup, fut renversé.