Page:Zola - La Débâcle.djvu/328

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autour d’elle, avec un frisson. Puis, l’involontaire, l’invincible sourire revint sur ses lèvres.

— Oh ! oui, effrayant, tous ces hommes que l’on coupe… C’est drôle que je reste là, sans m’évanouir.

Madame Delaherche avait regardé son fils baiser les cheveux de la jeune femme. Elle eut un geste, comme pour l’écarter, en songeant à l’autre, à l’homme qui avait dû baiser aussi ces cheveux-là, la nuit dernière. Mais ses vieilles mains tremblèrent, elle murmura :

— Que de souffrances, mon Dieu ! On oublie les siennes.

Delaherche partit, en expliquant qu’il allait revenir tout de suite, avec des renseignements certains. Dès la rue Maqua, il fut surpris du nombre de soldats qui rentraient, sans armes, l’uniforme en lambeaux, souillé de poussière. Il ne put d’ailleurs tirer aucun détail précis de ceux qu’il s’efforça d’interroger : les uns répondaient, hébétés, qu’ils ne savaient pas ; les autres en disaient si long, dans une telle furie de gestes, une telle exaltation de paroles, qu’ils ressemblaient à des fous. Machinalement, alors, il se dirigea de nouveau vers la Sous-Préfecture, avec la pensée que toutes les nouvelles affluaient là. Comme il traversait la place du Collège, deux canons, sans doute les deux seules pièces qui restaient d’une batterie, arrivèrent au galop, s’échouèrent contre un trottoir. Dans la Grande-Rue, il dut s’avouer que la ville commençait à s’encombrer des premiers fuyards : trois hussards démontés, assis sous une porte, se partageaient un pain ; deux autres, à petits pas, menaient leurs chevaux par la bride, ignorant à quelle écurie les conduire ; des officiers couraient éperdus, sans avoir l’air de savoir où ils allaient. Sur la place Turenne, un sous-lieutenant lui conseilla de ne pas s’attarder, car des obus y tombaient fréquemment, un éclat venait même d’y briser la grille qui entourait la statue du grand capitaine, vainqueur du Palatinat. Et, en effet, comme