Page:Zola - La Débâcle.djvu/348

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aperçu le drapeau blanc sur la citadelle. Enfin, un colonel déclara l’avoir entrevu un instant, le temps de le hisser et de l’abattre. Cela aurait tout expliqué, soit que les allemands n’eussent pu le voir, soit que, l’ayant vu apparaître et disparaître, ils eussent redoublé leur feu, en comprenant que l’agonie était proche. Même une histoire circulait déjà, la folle colère d’un général, qui s’était précipité, à l’apparition du drapeau blanc, l’avait arraché de ses mains, brisant la hampe, foulant le linge. Et les batteries prussiennes tiraient toujours, les projectiles pleuvaient sur les toits et dans les rues, des maisons brûlaient, une femme venait d’avoir la tête broyée, au coin de la place Turenne.

À la Sous-Préfecture, Delaherche ne trouva pas Rose dans la loge du concierge. Toutes les portes étaient ouvertes, la déroute commençait. Alors, il monta, ne se heurtant que dans des gens effarés, sans que personne lui adressât la moindre question. Au premier étage, comme il hésitait, il rencontra la jeune fille.

— Oh ! monsieur Delaherche, ça se gâte… tenez ! regardez vite, si vous voulez voir l’empereur.

En effet, à gauche, une porte, mal fermée, bâillait ; et, par cette fente, on apercevait l’empereur, qui avait repris sa marche chancelante, de la cheminée à la fenêtre. Il piétinait, ne s’arrêtait pas, malgré d’intolérables souffrances.

Un aide de camp venait d’entrer, celui qui avait si mal refermé la porte, et l’on entendit l’empereur qui lui demandait, d’une voix énervée de désolation :

— Mais enfin, monsieur, pourquoi tire-t-on toujours, puisque j’ai fait hisser le drapeau blanc ?

C’était son tourment devenu insupportable, ce canon qui ne cessait pas, qui augmentait de violence, à chaque minute. Il ne pouvait s’approcher de la fenêtre, sans en être frappé au cœur. Encore du sang, encore des vies