Page:Zola - La Débâcle.djvu/351

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au pas de course. D’abord, ce fut superbe, les hommes qui tombaient n’arrêtaient pas l’élan des autres, on parcourut près de cinq cents mètres avec une véritable furie de courage. Mais, bientôt, les rangs s’éclaircirent, les plus braves se replièrent. Que faire contre l’écrasement du nombre ? Il n’y avait là que la témérité folle d’un chef d’armée qui ne voulait pas être vaincu. Et le général de Wimpffen finit par se trouver seul avec le général Lebrun, sur cette route de Balan et de Bazeilles, qu’ils durent définitivement abandonner. Il ne restait qu’à battre en retraite sous les murs de Sedan.

Delaherche, dès qu’il avait perdu de vue le général, s’était hâté de retourner à la fabrique, possédé d’une idée unique, celle de monter de nouveau à son observatoire, pour suivre au loin les événements. Mais, comme il arrivait, il fut un instant arrêté, en se heurtant, sous le porche, au colonel de Vineuil, qu’on amenait, avec sa botte sanglante, à moitié évanoui sur du foin, au fond d’une carriole de maraîcher. Le colonel s’était obstiné à vouloir rallier les débris de son régiment, jusqu’au moment où il était tombé de cheval. Tout de suite, on le monta dans une chambre du premier étage, et Bouroche qui accourut, n’ayant trouvé qu’une fêlure de la cheville, se contenta de panser la plaie, après en avoir retiré des morceaux de cuir de la botte. Il était débordé, exaspéré, il redescendit en criant qu’il aimerait mieux se couper une jambe à lui-même, que de continuer à faire son métier si salement, sans le matériel convenable ni les aides nécessaires. En bas, en effet, on ne savait plus où mettre les blessés, on s’était décidé à les coucher sur la pelouse, dans l’herbe. Déjà, il y en avait deux rangées, attendant, se lamentant au plein air, sous les obus qui continuaient à pleuvoir. Le nombre des hommes amenés à l’ambulance, depuis midi, dépassait quatre cents, et le major avait fait demander des chirurgiens, sans qu’on lui envoyât