Page:Zola - La Débâcle.djvu/373

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d’or de sa tunique et à l’aigle d’or que le soleil oblique faisait flamber sur son casque. Sans épaulettes, le sabre à la main, il criait un ordre d’une voix sèche ; et la distance était si faible, deux cents mètres à peine, qu’on le distinguait très nettement, la taille mince, le visage rose et dur, avec de petites moustaches blondes.

Henriette le détaillait de ses yeux perçants.

— C’est parfaitement lui, répondit-elle sans s’étonner. Je le reconnais très bien.

D’un geste fou, Maurice l’ajustait déjà.

— Le cousin… Ah ! tonnerre de Dieu ! il va payer pour Weiss.

Mais, frémissante, elle s’était soulevée, avait détourné le chassepot, dont le coup alla se perdre au ciel.

— Non, non, pas entre parents, pas entre gens qui se connaissent… C’est abominable !

Et, redevenue femme, elle s’abattit, derrière l’arbre, en pleurant à gros sanglots. L’horreur la débordait, elle n’était plus qu’épouvante et douleur.

Rochas, cependant, triomphait. Autour de lui, le feu des quelques soldats, qu’il excitait de sa voix tonnante, avait pris une telle vivacité, à la vue des Prussiens, que ceux-ci, reculant, rentraient dans le petit bois.

— Tenez ferme, mes enfants ! ne lâchez pas !… Ah ! les capons, les voilà qui filent ! nous allons leur régler leur compte !

Et il était gai, et il semblait repris d’une confiance immense. Il n’y avait pas eu de défaites. Cette poignée d’hommes, en face de lui, c’étaient les armées allemandes, qu’il allait culbuter d’un coup, très à l’aise. Son grand corps maigre, sa longue figure osseuse, au nez busqué, tombant dans une bouche violente et bonne, riait d’une allégresse vantarde, la joie du troupier qui a conquis le monde entre sa belle et une bouteille de bon vin.

— Parbleu ! mes enfants, nous ne sommes là que pour