Page:Zola - La Débâcle.djvu/439

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la nuit là, quitte à continuer ses recherches, le lendemain matin. Il était brisé de fatigue, l’arbre le protégerait toujours un peu, si la pluie recommençait.

Mais il ne put s’endormir, hanté par la pensée de cette prison vaste, ouverte au plein air de la nuit, dans laquelle il se sentait enfermé. Les Prussiens avaient eu une idée d’une intelligence vraiment singulière, en poussant là les quatre-vingt mille hommes qui restaient de l’armée de Châlons. La presqu’île pouvait mesurer une lieue de long sur un kilomètre et demi de large, de quoi parquer à l’aise l’immense troupeau débandé des vaincus. Et il se rendait parfaitement compte de l’eau ininterrompue qui les entourait, la boucle de la Meuse sur trois côtés, puis le canal de dérivation à la base, unissant les deux lits rapprochés de la rivière. Là seulement, se trouvait une porte, le pont, que les deux canons défendaient. Aussi rien n’allait-il être plus facile que de garder ce camp, malgré son étendue. Déjà, il avait remarqué, à l’autre bord, le cordon des sentinelles allemandes, un soldat tous les cinquante pas, planté près de l’eau, avec l’ordre de tirer sur tout homme qui tenterait de s’échapper à la nage. Des uhlans galopaient derrière, reliaient les différents postes ; tandis que, plus loin, éparses dans la vaste campagne, on aurait pu compter les lignes noires des régiments prussiens, une triple enceinte vivante et mouvante qui murait l’armée prisonnière.

Maintenant, d’ailleurs, les yeux grands ouverts par l’insomnie, Maurice ne voyait plus que les ténèbres, où s’allumaient les feux des bivouacs. Pourtant, au delà du ruban pâle de la Meuse, il distinguait encore les silhouettes immobiles des sentinelles. Sous la clarté des étoiles, elles restaient droites et noires ; et, à des intervalles réguliers, leur cri guttural lui arrivait, un cri de veille menaçante qui se perdait au loin dans le gros bouillonnement de la rivière. Tout le cauchemar de l’avant-veille renaissait en