Page:Zola - La Débâcle.djvu/471

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permis de couper, à la lisière d’un petit bois. Ce n’était plus qu’une débandade de gueux, couverts de plaies, hâves et sans souffle. Et les violences se renouvelaient, ceux qui s’écartaient, même pour quelque besoin naturel, étaient ramenés à coups de bâton. À la queue, le peloton formant l’escorte avait l’ordre de pousser les traînards, la baïonnette dans les reins. Un sergent ayant refusé d’aller plus loin, le capitaine commanda à deux hommes de le prendre sous les bras, de le traîner, jusqu’à ce que le misérable consentît à marcher de nouveau. Et c’était surtout le supplice, cette figure à gifles, ce petit officier chauve, qui abusait de ce qu’il parlait très correctement le français, pour injurier les prisonniers dans leur langue, en phrases sèches et cinglantes comme des coups de cravache.

— Oh ! répétait rageusement Maurice, le tenir, celui-là, et lui tirer tout son sang, goutte à goutte !

Il était à bout de force, plus malade encore de colère rentrée que d’épuisement. Tout l’exaspérait, jusqu’à ces sonneries aigres des trompettes prussiennes, qui l’auraient fait hurler comme une bête, dans l’énervement de sa chair. Jamais il n’arriverait à la fin du cruel voyage, sans se faire casser la tête. Déjà, lorsqu’on traversait le moindre des hameaux, il souffrait affreusement, en voyant les femmes qui le regardaient d’un air de grande pitié. Que serait-ce, quand on entrerait en Allemagne, que les populations des villes se bousculeraient, pour l’accueillir, au passage, d’un rire insultant ? Et il évoquait les wagons à bestiaux où l’on allait les entasser, les dégoûts et les tortures de la route, la triste existence des forteresses, sous le ciel d’hiver, chargé de neige. Non, non ! plutôt la mort tout de suite, plutôt risquer de laisser sa peau au détour d’un chemin, sur la terre de France, que de pourrir là-bas, au fond d’une casemate noire, pendant des mois peut-être !