Page:Zola - La Débâcle.djvu/481

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Villers ; et, au petit bonheur, comptant que la chance leur serait enfin favorable, il se dirigea vers ce village, à travers les prairies et les labours de la rive droite. Tout se présenta assez bien d’abord, ils n’eurent qu’à éviter une patrouille de cavalerie, ils restèrent près d’un quart d’heure immobiles, dans l’ombre d’un mur. La pluie s’était remise à tomber, la marche devenait seulement très pénible pour lui, forcé de piétiner parmi les terres détrempées, à côté du cheval, heureusement un brave homme de cheval, fort docile. À Villers, la chance fut en effet pour eux : le bac, qui venait justement, à cette heure de nuit, de passer un officier bavarois, put les prendre tout de suite, les déposer sur l’autre rive, sans encombre. Et les dangers, les fatigues terribles ne commencèrent qu’au village, où ils faillirent rester entre les mains des sentinelles, échelonnées tout le long de la route de Remilly. De nouveau, ils se rejetèrent dans les champs, au hasard des petits chemins creux, des sentiers étroits, à peine frayés. Les moindres obstacles les obligeaient à des détours énormes. Ils franchissaient les haies et les fossés, s’ouvraient un passage au cœur des taillis impénétrables. Jean, pris par la fièvre, sous la pluie fine, s’était affaissé en travers de la selle, à moitié évanoui, cramponné des deux mains à la crinière du cheval ; tandis que Maurice, qui avait passé la bride dans son bras droit, devait lui soutenir les jambes, pour qu’il ne glissât pas. Pendant plus d’une lieue, pendant près de deux heures encore, cette marche épuisante s’éternisa, au milieu des cahots, des glissements brusques, des pertes d’équilibre, dans lesquelles, à chaque instant, la bête et les deux hommes manquaient de s’effondrer. Ils n’étaient plus qu’un convoi d’extrême misère, couverts de boue, le cheval tremblant sur les pieds, l’homme qu’il portait inerte, comme expiré dans un dernier hoquet, l’autre, éperdu, hagard, allant toujours, par l’unique effort de sa charité fraternelle. Le