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IV


La chambre était une grande pièce carrelée, badigeonnée simplement à la chaux, qui avait autrefois servi de fruitier. On y sentait encore la bonne odeur des pommes et des poires ; et, pour tout meuble, il y avait là un lit de fer, une table de bois blanc et deux chaises, sans compter une vieille armoire en noyer, aux flancs immenses, où tenait tout un monde. Mais le calme y était d’une douceur profonde, on n’entendait que les bruits sourds de l’étable voisine, des coups affaiblis de sabots, des meuglements de bêtes. Par la fenêtre, tournée au midi, le clair soleil entrait. On voyait seulement un bout de coteau, un champ de blé que bordait un petit bois. Et cette chambre close, mystérieuse, était si bien cachée à tous les yeux, que personne au monde ne pouvait en soupçonner là l’existence.

Tout de suite, Henriette régla les choses : il fut entendu que, pour éviter les soupçons, elle seule et le docteur pénétreraient auprès de Jean. Jamais Silvine ne devait entrer, sans qu’elle l’appelât. De grand matin, le ménage était fait par les deux femmes ; puis, la journée entière, la porte restait comme murée. La nuit, si le blessé avait eu besoin de quelqu’un, il n’aurait eu qu’à taper au mur, car la pièce occupée par Henriette était voisine. Et ce fut ainsi que Jean se trouva brusquement séparé du monde, après des semaines de cohue violente, ne voyant plus que cette jeune femme si douce, dont le pas léger ne faisait aucun bruit. Il la revoyait telle qu’il l’avait vue, là-bas,