Page:Zola - La Débâcle.djvu/499

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— Bah ! conclut Jean, elle est très gentille, sa lettre, et ça fait plaisir d’avoir des nouvelles… Il ne faut jamais désespérer.

Alors, jour à jour, le mois d’octobre s’écoula, des cieux gris et tristes, où le vent ne cessait que pour ramener bientôt des vols plus sombres de nuages. La plaie de Jean se cicatrisait avec une lenteur infinie, le drain ne donnait toujours pas le pus louable, qui aurait permis au docteur de l’enlever ; et le blessé s’était beaucoup affaibli, s’obstinant à refuser toute opération, dans sa peur de rester infirme. Une attente résignée, que parfois coupaient des anxiétés brusques, sans cause précise, semblait à présent endormir la petite chambre perdue, au fond de laquelle les nouvelles n’arrivaient que lointaines, vagues, comme au réveil d’un cauchemar. L’abominable guerre, les massacres, les désastres, continuaient là-bas, quelque part, sans qu’on sût jamais la vérité vraie, sans qu’on entendît autre chose que la grande clameur sourde de la patrie égorgée. Et le vent emportait les feuilles sous le ciel livide, et il y avait de longs silences profonds, dans la campagne nue, où ne passaient que les croassements des corbeaux, annonçant un hiver rigoureux.

Un des sujets de conversation était devenu l’ambulance, dont Henriette ne sortait guère que pour tenir compagnie à Jean. Le soir, quand elle était de retour, il la questionnait, connaissait chacun de ses blessés, voulait savoir ceux qui mouraient, ceux qui guérissaient ; et elle-même, sur ces choses dont son cœur était plein, ne tarissait pas, racontait ses journées jusque dans leurs infimes détails.

— Ah ! répétait-elle toujours, les pauvres enfants, les pauvres enfants !

Ce n’était plus, en pleine bataille, l’ambulance où coulait le sang frais, où les amputations se faisaient dans les chairs saines et rouges. C’était l’ambulance tombée à la pourriture d’hôpital, sentant la fièvre et la mort, toute