Page:Zola - La Débâcle.djvu/512

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comprendre la grande affection qu’elle éprouvait pour Jean. Ces hommes, évidemment, avaient appris la présence du blessé à la ferme, et ils venaient le réclamer : c’était le départ inévitable, la captivité en Allemagne, au fond de quelque forteresse. Elle écouta, tremblante, le cœur battant à grands coups.

Le capitaine, un gros homme qui parlait français, faisait de violents reproches au père Fouchard.

— Ça ne peut pas durer, vous vous fichez de nous… je suis venu moi-même pour vous avertir que, si le cas se reproduit, je vous en rendrai responsable, oui ! je saurai prendre des mesures !

Très tranquille, le vieux affectait l’ahurissement, comme s’il n’avait pas compris, les mains ballantes.

— Comment ça, monsieur, comment ça ?

— Ah ! ne m’échauffez pas les oreilles, vous savez très bien que les trois vaches que vous nous avez vendues dimanche étaient pourries… Parfaitement, pourries, enfin malades, crevées de maladie infecte, car elles ont empoisonné mes hommes, et il y en a deux qui doivent en être morts à l’heure qu’il est.

Du coup, Fouchard joua la révolte, l’indignation.

— Pourries, mes vaches ! de la si belle viande, de la viande que l’on donnerait à une accouchée, pour lui refaire des forces !

Et il larmoya, se tapa sur la poitrine, cria qu’il était honnête, qu’il aimerait mieux se couper de sa propre chair, à lui, que d’en vendre de la mauvaise. Depuis trente ans, on le connaissait, personne au monde ne pouvait dire qu’il n’avait pas eu son poids, en bonne qualité.

— Elles étaient saines comme l’œil, monsieur, et si vos soldats ont eu la colique, c’est peut-être qu’ils en ont trop mangé ; à moins que des malfaiteurs n’aient mis de la drogue dans la marmite…

Il l’étourdissait ainsi d’un flot de paroles, d’hypothèses