Page:Zola - La Débâcle.djvu/529

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lundi prochain… Et je prendrai le petit, je l’enverrai là-bas à ma mère qui sera très contente de l’avoir ; car, du moment que tu veux rompre, il est à moi… N’est-ce pas ? tu entends bien, je n’aurai qu’à venir et à l’emporter, lorsqu’il n’y aura plus personne ici. Je suis le maître, je fais ce qui me plaît… Que décides-tu, voyons ?

Mais elle ne répondait pas, elle serrait l’enfant plus fort, comme si elle eût craint qu’on ne le lui arrachât tout de suite ; et, dans ses grands yeux, montait une exécration épouvantée.

— C’est bon, je t’accorde trois jours pour réfléchir… Tu laisseras ouverte la fenêtre de ta chambre, qui donne sur le verger… Si lundi soir, à sept heures, je ne trouve pas ouverte la fenêtre, je fais, le lendemain, arrêter tout ton monde, et je reviens prendre le petit… Au revoir, Silvine !

Il partit tranquillement, elle resta plantée à la même place, la tête bourdonnante d’idées si grosses, si terribles, qu’elle en était comme imbécile. Et, pendant la journée entière, ce fut ainsi une tempête en elle. D’abord, elle eut l’instinctive pensée d’emporter son enfant dans ses bras, de s’en aller droit devant elle, n’importe où ; seulement, que devenir dès que la nuit tomberait, comment gagner sa vie pour lui et pour elle ? sans compter que les Prussiens qui battaient les routes, l’arrêteraient, la ramèneraient peut-être. Puis, le projet lui vint de parler à Jean, d’avertir Prosper et le père Fouchard lui-même ; et, de nouveau, elle hésita, elle recula : était-elle assez sûre de l’amitié des gens, pour avoir la certitude qu’on ne la sacrifierait pas à la tranquillité de tous ? Non, non ! elle ne dirait rien à personne, elle seule se tirerait du danger, puisque seule elle l’avait fait, par l’entêtement de son refus. Mais qu’imaginer, mon dieu ! de quelle façon empêcher le malheur ? car son honnêteté se révoltait, elle ne se serait pardonné de la vie, si, par sa