Page:Zola - La Débâcle.djvu/557

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

coups de croc ramenaient des bras, des jambes, des têtes. Rien que la force du courant détachait et emportait parfois une main. L’eau se troublait, de grosses bulles de gaz montaient, crevaient à la surface, empestant l’air d’une odeur infecte.

— Cela va bien qu’il gèle, fit remarquer Delaherche. Mais, dès que la neige disparaîtra, il va falloir procéder à des recherches, désinfecter tout ça, autrement nous y resterions tous.

Et, sa femme l’ayant supplié en riant de passer à des sujets plus propres, pendant qu’on mangeait, il conclut simplement :

— Dame ! voilà le poisson de la Meuse compromis pour longtemps.

Mais on avait fini, on servait le café, quand la femme de chambre annonça que M. de Gartlauben demandait la faveur d’entrer un instant. Ce fut un émoi, car il n’était jamais venu à cette heure, en plein jour. Tout de suite, Delaherche avait dit de l’introduire, voyant là une circonstance heureuse qui allait permettre de lui présenter Henriette. Et le capitaine, lorsqu’il aperçut une autre jeune femme, outra encore sa politesse. Il accepta même une tasse de café, qu’il buvait sans sucre, comme il avait vu beaucoup de personnes le boire, à Paris. D’ailleurs, s’il avait insisté pour être reçu, c’était uniquement dans le désir d’apprendre tout de suite à madame qu’il venait d’obtenir la grâce d’un de ses protégés, un malheureux ouvrier de la fabrique, emprisonné à la suite d’une rixe avec un soldat prussien.

Alors, Gilberte profita de l’occasion pour parler du père Fouchard.

— Capitaine, je vous présente une de mes plus chères amies… Elle désire se mettre sous votre protection, elle est la nièce du fermier qu’on a arrêté à Remilly, vous savez bien, à la suite de cette histoire de francs-tireurs.