Page:Zola - La Débâcle.djvu/56

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Une belle fille, de poitrine solide, vint lui demander, en montrant ses dents blanches :

— Est-ce que monsieur déjeune ?

— Mais oui, je déjeune !… Donnez-moi des œufs, une côtelette, du fromage !… Et du vin blanc !

Il la rappela.

— Dites, n’est-ce pas dans une de ces maisons que l’empereur est descendu ?

— Tenez ! monsieur, dans celle qui est là devant nous… Vous ne voyez pas la maison, elle est derrière ce grand mur que des arbres dépassent.

Alors, il s’installa sous la tonnelle, déboucla son ceinturon pour être plus à l’aise, choisit sa table, sur laquelle le soleil, filant à travers les pampres, jetait des palets d’or. Et il revenait toujours à ce grand mur jaune, qui abritait l’empereur. C’était en effet une maison cachée, mystérieuse, dont on ne voyait pas même les tuiles du dehors. L’entrée donnait de l’autre côté, sur la rue du village, une rue étroite, sans une boutique, ni même une fenêtre, qui tournait entre des murailles mornes. Derrière, le petit parc faisait comme un îlot d’épaisse verdure, parmi les quelques constructions voisines. Et là, il remarqua, à l’autre bord de la route, encombrant une large cour, entourée de remises et d’écuries, tout un matériel de voitures et de fourgons, au milieu d’un va-et-vient continu d’hommes et de chevaux.

— Est-ce que c’est pour l’empereur, tout ça ? demanda-t-il, croyant plaisanter, à la servante, qui étalait sur la table une nappe très blanche.

— Pour l’empereur tout seul, justement ! répondit-elle de son bel air de gaieté, heureuse de montrer ses dents fraîches.

Et, renseignée sans doute par les palefreniers, qui, depuis la veille, venaient boire, elle énuméra : l’état-major composé de vingt-cinq officiers, les soixante cent-