Page:Zola - La Débâcle.djvu/574

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le rendez-vous, donné à l’armée de la Loire, était pour le lendemain, à Fontainebleau. Puis, tout de suite, ce furent les malechances, les fautes habituelles, une crue subite qui empêcha de jeter les ponts de bateaux, des ordres fâcheux qui attardèrent les mouvements. La nuit suivante, le 115e, un des premiers, passa la rivière ; et, dès dix heures, sous un feu effroyable, Maurice pénétra dans le village de Champigny. Il était comme fou, son chassepot lui brûlait les doigts, malgré le froid terrible. Son unique vouloir, depuis qu’il marchait, était d’aller ainsi en avant, toujours, jusqu’à ce qu’on eût rejoint les camarades de la province, là-bas. Mais, en face de Champigny et de Bry, l’armée venait de se heurter contre les murs des parcs de Cœuilly et de Villiers, des murs d’un demi-kilomètre, dont les Prussiens avaient fait des forteresses imprenables. C’était la borne, où tous les courages échouèrent. Dès lors, il n’y eut plus qu’hésitation et recul, le troisième corps s’était attardé, le premier et le deuxième, immobilisés déjà, défendirent deux jours Champigny, qu’ils durent abandonner dans la nuit du 2 décembre, après leur stérile victoire. Cette nuit-là, toute l’armée revint camper sous les arbres du bois de Vincennes, blancs de givre ; et Maurice, les pieds morts, la face contre la terre glacée, pleura.

Ah ! les mornes et tristes journées, après l’avortement de cet immense effort ! La grande sortie, préparée depuis si longtemps, la poussée irrésistible qui devait délivrer Paris, venait d’échouer ; et, trois jours plus tard, une lettre du général de Moltke annonçait que l’armée de la Loire, battue, avait de nouveau abandonné Orléans. C’était le cercle qui se resserrait plus étroit, impossible désormais à rompre. Mais Paris, dans sa fièvre de désespoir, semblait trouver des forces nouvelles de résistance. Les menaces de famine commençaient. Dès le milieu d’octobre, on avait rationné la viande. En décembre, il ne