Page:Zola - La Débâcle.djvu/612

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s’abandonna avec prudence au fil du courant, longeant le bord, dans l’ombre des bains froids et des péniches. Ni l’un ni l’autre ne parlaient plus, épouvantés de l’exécrable spectacle qui se déroulait. À mesure qu’ils descendaient la rivière, l’horreur semblait grandir, dans le recul de l’horizon. Quand ils furent au pont de Solférino, ils virent d’un regard les deux quais en flammes.

À gauche, c’étaient les Tuileries qui brûlaient. Dès la tombée de la nuit, les communards avaient mis le feu aux deux bouts du palais, au pavillon de Flore et au pavillon de Marsan ; et, rapidement, le feu gagnait le pavillon de l’Horloge, au centre, où était préparée toute une mine, des tonneaux de poudre entassés dans la salle des Maréchaux. En ce moment, les bâtiments intermédiaires jetaient, par leurs fenêtres crevées, des tourbillons de fumée rousse que traversaient de longues flammèches bleues. Les toits s’embrasaient, gercés de lézardes ardentes, s’entr’ouvrant, comme une terre volcanique, sous la poussée du brasier intérieur. Mais, surtout, le pavillon de Flore, allumé le premier, flambait, du rez-de-chaussée aux vastes combles, dans un ronflement formidable. Le pétrole, dont on avait enduit le parquet et les tentures, donnait aux flammes une intensité telle, qu’on voyait les fers des balcons se tordre et que les hautes cheminées monumentales éclataient, avec leurs grands soleils sculptés, d’un rouge de braise.

Puis, à droite, c’était d’abord le palais de la Légion d’honneur, incendié à cinq heures du soir, qui brûlait depuis près de sept heures, et qui se consumait en une large flambée de bûcher dont tout le bois s’achèverait d’un coup. Ensuite, c’était le palais du Conseil d’État, l’incendie immense, le plus énorme, le plus effroyable, le cube de pierre géant aux deux étages de portiques, vomissant des flammes. Les quatre bâtiments, qui entouraient la grande cour intérieure, avaient pris feu à la fois ; et, là, le pétrole,