Page:Zola - La Débâcle.djvu/94

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là, paternellement, à la regarder luire dans l’air frais de l’aube, lorsqu’il reconnut Maurice.

— Tiens ! je savais le 106e dans le voisinage, j’ai reçu une lettre de Remilly, hier, et je voulais descendre… Allons donc boire le vin blanc.

Pour être seuls tous deux, il l’emmena vers la petite ferme, que les soldats avaient pillée la veille, et où le paysan, incorrigible, âpre au gain quand même, venait d’installer une sorte de buvette, en mettant en perce un tonneau de vin blanc. Devant la porte, sur une planche, il distribuait sa marchandise, à quatre sous le verre, aidé par le garçon qu’il avait engagé depuis trois jours, le colosse blond, l’Alsacien.

Déjà, Honoré trinquait avec Maurice, lorsque ses yeux tombèrent sur cet homme. Il le dévisagea un instant, stupéfait. Puis, il eut un juron terrible.

— Tonnerre de Dieu ! Goliath !

Et il s’élança, il voulut le prendre à la gorge. Mais le paysan, s’imaginant qu’on allait de nouveau mettre sa maison à sac, sauta en arrière, se barricada. Il y eut un moment de confusion, tous les soldats présents se ruaient, pendant que le maréchal des logis, furieux, s’étranglait à crier :

— Ouvrez donc, ouvrez donc, foutue bête !… C’est un espion, je vous dis que c’est un espion !

Maintenant, Maurice n’en doutait plus. Il venait de reconnaître parfaitement l’homme qu’on avait relâché au camp de Mulhouse, faute de preuves ; et cet homme, c’était Goliath, l’ancien garçon de ferme du père Fouchard, à Remilly. Lorsque le paysan, enfin, consentit à ouvrir sa porte, on eut beau fouiller partout, l’Alsacien avait disparu, le colosse blond, à la bonne figure, que le général Bourgain-Desfeuilles avait inutilement interrogé la veille, et devant lequel, en dînant, il s’était confessé lui-même, en toute insouciance. Sans doute, le gaillard