Page:Zola - La Débâcle.djvu/95

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avait sauté par une fenêtre de derrière, qu’on trouva ouverte ; mais on battit vainement les environs, lui si grand s’était évanoui, ainsi qu’une fumée.

Maurice dut emmener à l’écart Honoré, dont le désespoir allait en dire trop long aux camarades, qui n’avaient pas besoin d’entrer dans ces tristes affaires de famille.

— Tonnerre de Dieu ! je l’aurais étranglé de si bon cœur !… Justement, ça m’avait enragé contre lui, cette lettre que j’ai reçue !

Et, comme tous deux venaient, à quelques pas de la ferme, de s’asseoir contre une meule, il remit la lettre à son cousin.

La commune histoire, que cet amour contrarié d’Honoré Fouchard et de Silvine Morange. Elle, une fille brune aux beaux yeux de soumission, avait perdu toute jeune sa mère, une ouvrière séduite, qui travaillait dans une usine de Raucourt ; et c’était le docteur Dalichamp, son parrain d’occasion, un brave homme toujours prêt à adopter les enfants des malheureuses qu’il accouchait, qui avait eu l’idée de la placer comme petite servante chez le père Fouchard. Certes, le vieux paysan, devenu boucher par un besoin de lucre, promenant sa viande dans vingt communes des environs, était d’une avarice noire, d’une impitoyable dureté ; mais il surveillerait la petite, elle aurait un sort, si elle travaillait. En tout cas, elle serait sauvée de la débauche de l’usine. Et il arriva naturellement que, chez le père Fouchard, le fils de la maison et la petite servante s’aimèrent. Honoré avait eu seize ans, quand Silvine en avait douze, et comme elle en avait seize, il en eut vingt, il tira au sort, ravi d’amener un bon numéro, résolu à l’épouser. Par une honnêteté rare, qui tenait à la nature réfléchie et calme du garçon, rien ne s’était passé entre eux que de grandes embrassades dans la grange. Mais, quand il parla de ce mariage au père, celui-ci exaspéré, têtu, déclara qu’il faudrait le tuer