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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Serge haussait les épaules, en souriant.

— À quoi bon ! dit-il. N’est-on pas bien dans le parterre ? Il faudra rester avec les fleurs, vois-tu, sans chercher si loin un bonheur plus grand.

— C’est là que la morte est enterrée, murmura Albine, retombant dans sa rêverie. C’est la joie de s’être assise là qui l’a tuée. L’arbre a une ombre dont le charme fait mourir… Moi, je mourrais volontiers ainsi. Nous nous coucherions aux bras l’un de l’autre ; nous serions morts, personne ne nous trouverait plus.

— Non, tais-toi, tu me désoles, interrompit Serge inquiet. Je veux que nous vivions au soleil, loin de cette ombre mortelle. Tes paroles me troublent, comme si elles nous poussaient à quelque malheur irréparable. Ça doit être défendu de s’asseoir sous un arbre dont l’ombrage donne un tel frisson.

— Oui, c’est défendu, déclara gravement Albine. Tous les gens du pays m’ont dit que c’était défendu.

Un silence se fit. Serge se leva du canapé où il était resté allongé. Il riait, il prétendait que les histoires ne l’amusaient pas. Le soleil baissait, lorsque Albine consentit enfin à descendre un instant au jardin. Elle le mena, à gauche, le long du mur de clôture, jusqu’à un champ de décombres, tout hérissé de ronces. C’était l’ancien emplacement du château, encore noir de l’incendie qui avait abattu les murs. Sous les ronces, des pierres cuites se fendaient, des éboulements de charpentes pourrissaient. On eût dit un coin de roches stériles, raviné, bossué, vêtu d’herbe rude, de lianes rampantes qui se coulaient dans chaque fente comme des couleuvres. Et ils s’égayèrent à traverser en tous sens cette fondrière, descendant au fond des trous, flairant les débris, cherchant s’ils ne devineraient rien de ce passé en cendre. Ils n’avouaient pas leur curiosité, ils se poursuivaient au milieu des planchers crevés et