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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

dès le lendemain. En une demi-heure, il serait auprès d’elle. Il traverserait le village, il prendrait le chemin du coteau ; c’était de beaucoup le plus court. Il pouvait tout, il était le maître, personne ne lui dirait rien. Si on le regardait, il ferait, d’un geste, baisser toutes les têtes. Puis, il vivrait avec Albine. Il l’appellerait sa femme. Ils seraient très-heureux. L’or montait de nouveau, ruisselait entre ses doigts. Il rentrait dans un bain d’or. Il emportait les vases sacrés pour les besoins de son ménage, menant grand train, payant ses gens avec des fragments de calice qu’il tordait entre ses doigts, d’un léger effort. Il mettait à son lit de noces les rideaux de drap d’or de l’autel. Comme bijoux, il donnait à sa femme les cœurs d’or, les chapelets d’or, les croix d’or, pendus au cou de la Vierge et des Saintes. L’église même, s’il l’élevait d’un étage, pourrait leur servir de palais. Dieu n’aurait rien à dire, puisqu’il permettait d’aimer. Du reste, que lui importait Dieu ! N’était-ce pas lui, à cette heure, qui était Dieu, avec ses pieds d’or que la foule baisait, et qui accomplissait des miracles.

L’abbé Mouret se leva. Il fit ce geste large de Jeanbernat, ce geste de négation embrassant tout l’horizon.

— Il n’y a rien, rien, rien, dit-il. Dieu n’existe pas.

Un grand frisson parut passer dans l’église. Le prêtre, effaré, redevenu d’une pâleur mortelle, écoutait. Qui donc avait parlé ? qui avait blasphémé ? Brusquement la caresse de velours, dont il sentait la douceur sur sa nuque, était devenue féroce ; des griffes lui arrachaient la chair, son sang coulait une fois encore. Il resta debout pourtant, luttant contre la crise. Il injuriait le péché triomphant, qui ricanait autour de ses tempes, où tous les marteaux du mal recommençaient à battre. Ne connaissait-il pas ses traîtrises ? ne savait-il pas qu’il se fait un jeu souvent d’approcher avec des pattes douces, pour les enfoncer ensuite comme des couteaux jusqu’aux os de ses