Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/262

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terrible de M. Jean Bertrand, ce drame réel et poignant qui s’est joué à côté de ce mélodrame imbécile, et qui lui a donné une affreuse célébrité d’un jour.

On se souvient des espérances qui avaient accueilli M. Bertrand, à son entrée comme directeur au Théâtre des Nations. Il semblait que notre République elle-même s’intéressât à l’affaire ; des personnages puissants patronnaient, disait-on, le nouveau directeur ; on allait enfin avoir une scène nationale, on élèverait les âmes, on élargirait l’idéal, on continuerait 1830, mais un 1830 républicain, qui achèverait devant le trou du souffleur la besogne commencée à la tribune de la Chambre. Hélas ! M. Bertrand dort aujourd’hui dans la terre, empoisonné.

C’était un honnête homme. Il avait cru à toutes les belles phrases, il arrivait réellement pour relever l’idéal avec des tirades patriotiques. Son idée était que notre jeune littérature attendait l’ouverture d’un théâtre républicain pour produire des chefs-d’œuvre. Et il s’était mis ardemment à la besogne. Quelques mois ont suffi pour le désespérer et le tuer. Toutes ses tentatives échouaient ; Camille Desmoulins et les Mirabeau étaient bien empruntés à notre Révolution, mais le public ne voulait pas de notre Révolution accommodée à cette étrange sauce ; Notre-Dame de Paris elle-même, qui aurait pu être une bonne affaire pour la direction, si elle s’était arrêtée à la cinquantième représentation, l’avait laissée, après la centième, dans des embarras d’argent. Jamais on n’a vu des ambitions plus généreuses aboutir si vite à une catastrophe plus lamentable.