Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/267

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un coquin en carton, qui est là pour servir de repoussoir. Bravo ! bravo ! que tout le monde s’embrasse, et que le mensonge dure jusqu’à minuit !

La salle de l’Odéon tremblait sous l’ouragan des bravos. Chaque couplet patriotique était accueilli par des trépignements. Des personnes, je crois, ont été trouvées sous les bancs, évanouies de bonheur. La pièce n’existait plus, on se moquait bien de la pièce ! La grande affaire était de guetter au passage les allusions à nos défaites et à la revanche future ; et, dès qu’une allusion arrivait, la salle prenait feu, de l’orchestre au ceintre. Un monsieur en habit noir, un conférencier quelconque, aurait lu le drame devant le trou du souffleur que certainement l’effet aurait été le même. Et je pensais, assourdi par ce vacarme, que nous étions tous bien naïfs de chercher des succès dans l’amour de la langue et dans l’amour du vrai. Voilà M. Paul Deroulède qui passe du coup auteur dramatique, en criant simplement, le plus fort qu’il peut : « Je suis l’armée, je suis la vertu, l’honneur, la patrie, je suis les beaux sentiments ! »

Pauvres écrivains que nous sommes, quelle leçon ! Je sais des poètes qui, depuis vingt ans, étudient l’art délicat de forger le vers français. Ceux-là ont à peine des succès d’estime. Je sais des auteurs dramatiques qui se mangent le cerveau pour trouver une nouvelle formule, pour élargir la scène française. Ceux-là sont bafoués, et on les jette au ruisseau. Les maladroits ! Pourquoi ne battent-ils pas du tambour et ne jouent-ils pas du clairon ? C’est si facile !

La recette est connue. On sait à l’avance que tel beau sentiment doit provoquer telle quantité de bravos. On peut même doser le succès qu’on désire.