Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/358

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je n’ai vu des gens mis dans un pareil état de joie par les chefs-d’œuvre de notre théâtre. Devant un chef-d’œuvre, le public se méfie toujours un peu ; il a peur que le chef-d’œuvre ne se moque de lui. Mais, devant une Niniche, il se roule, il est comme ces enfants qui rencontrent un trou d’eau sale et qui s’y vautrent avec délices, en se sentant chez eux.

Oh ! le rire, quelle bonne chose et quelle chose bête ! Toute la sottise est là et tout l’esprit. Contestez les mérites de Niniche, on vous répondra que le public s’amuse, et vous n’aurez rien à répondre, car les théâtres ne sont faits en somme que pour amuser le public. En voyant cette salle rire à ventre déboutonné d’inepties dont on serait révolté, si on les lisait chez soi, on se sent ébranlé dans ses convictions les plus chères, on se demande si le talent n’est pas inutile, s’il y a à espérer qu’une œuvre forte touche jamais autant les spectateurs dans leurs instincts secrets qu’une parade de foire. Le théâtre serait donc cela ? Les effluves d’une foule mise en tas, l’aveuglement du gaz, l’air surchauffé d’une salle trop étroite, l’odeur de poussière, toutes les sollicitations et toutes les demi-hallucinations d’une journée d’activité terminée dans un fauteuil dont les bras vous étouffent et vous brûlent, ce serait donc là cette atmosphère du théâtre qui déforme tout et empêche le triomphe du vrai sur les planches ?

J’ai eu ainsi la sensation très nette de l’infériorité de la littérature dramatique. En vérité, l’œuvre écrite est plus large, plus haute, plus dégagée de la sottise des foules que l’œuvre jouée. Au théâtre, le succès est trop souvent indépendant de l’œuvre. Une rencontre suffit, une interprétation heureuse, une plaisanterie qui