Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/386

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nuit à gesticuler et à embrasser le portrait de son père en cheveux blancs, il se tue enfin par monomanie, uniquement pour attraper la société. Chatterton est un polisson, voilà mon avis tout net.

Qu’on fasse des bonshommes en carton, et qu’ils soient drôles, passe encore ! cela ne tire pas à conséquence. Mais qu’on vienne troubler et empoisonner les volontés jeunes avec ce fantoche funèbre, avec ce pantin aussi faux que dangereux, voilà ce qui soulève en moi toute ma virilité ! Le poète est un travailleur comme un autre. Dans le combat de la vie, s’il triomphe, tant mieux ! s’il tombe, c’est sa faute ! La société ne doit pas plus d’aide et de pitié au poète qu’elle n’en doit au boulanger et au forgeron. Il n’y a pas de pontife, il n’y a que des hommes, et l’énergie fait aussi bien partie du talent que le don des vers. Le génie est toujours fort.

Comment ! on vient nous parler de mort, au seuil de ce siècle ! Nous revivons, nous entrons dans un âge d’activité colossale, nous sommes tous pris d’un besoin furieux d’action, et il y a là un pleurard, un polisson qui se tue et qui tue par là même la femme dont il a troublé la cervelle. Mais c’est un double meurtre, c’est une lâcheté et une infamie ! Que dirait-on d’un soldat qui, en face de l’ennemi, se déchargerait son fusil dans la tête ? La nouvelle génération littéraire n’a qu’à pousser dédaigneusement du pied le cadavre de Chatterton, pour passer et aller à l’avenir.

D’ailleurs, c’était là une pose, pas davantage. La vanité était grande, en 1830 ; et, naturellement, les poètes se taillaient eux-mêmes le rôle qu’il leur plaisait de jouer. La mode était au dégoût de la vie,