Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les drames lyriques de Victor Hugo qu’on aurait applaudis, et rien de plus explicable ici encore : la musique du vers a tout emporté, ces drames ont passé comme des livrets d’opéra, grâce à la voix superbe des interprètes, sans qu’on s’avisât un instant de discuter la vraisemblance. Mais, arrivés devant les Fourchambault, de M. Emile Augier, et devant tout le théâtre de M. Dumas, les Anglais se sont cabrés. On les dérangeait brutalement dans leur façon d’entendre la littérature, et ils n’ont plus montré qu’une froide politesse.

L’expérience est faite aujourd’hui. J’en suis bien heureux. Le voyage de la Comédie-Française à Londres n’aurait-il que prouvé où en est l’Angleterre devant la formule naturaliste moderne, que je le considérerais comme d’une grande utilité. Il est entendu que le peuple qui a produit Shakespeare et Ben Jonson, pour ne citer que ces deux noms, en est tombé à ne pouvoir plus supporter aujourd’hui les hardiesses de M. Dumas.

Je ne puis résumer ici l’histoire de la littérature anglaise. Mais lisez l’ouvrage si remarquable de M. Taine, et vous verrez que pas une littérature n’a eu un débordement plus large ni plus hardi d’originalité. Le génie saxon a dépassé en vigueur et en crudité tout ce qu’on connaît. Et c’est maintenant cette littérature anglaise, après la longue action du protestantisme, qui en est arrivée à ne plus tolérer à la scène un enfant naturel ou une femme adultère. Tout le génie libre de Shakespeare, toute la crudité superbe de Ben Jonson ont abouti à des romans d’une médiocrité écœurante, à des mélodrames ineptes dont nos théâtres de barrière ne voudraient pas.