Page:Zola - Le Roman expérimental, 1902.djvu/23

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Souvent, dans cette étude, je rappellerai ainsi que le roman expérimental est plus jeune que la médecine expérimentale, laquelle pourtant est à peine née. Mais je n'entends pas constater les résultats acquis, je désire simplement exposer clairement une méthode. Si le romancier expérimental marche encore à tâtons dans la plus obscure et la plus complexe des sciences, cela n'empêche pas cette science d'exister. Il est indéniable que le roman naturaliste, tel que nous le comprenons à cette heure, est une expérience véritable que le romancier fait sur l'homme, en s'aidant de l'observation.

D'ailleurs, cette opinion n'est pas seulement la mienne, elle est également celle de Claude Bernard. Il dit quelque part: «Dans la pratique de la vie, les hommes ne font que faire des expériences les uns sur les autres.» Et, ce qui est plus concluant, voici toute la théorie du roman expérimental. «Quand nous raisonnons sur nos propres actes, nous avons un guide certain, parce que nous avons conscience de ce que nous pensons et de ce que nous sentons. Mais si nous voulons juger les actes d'un autre homme et savoir les mobiles qui le font agir, c'est tout différent. Sans doute, nous avons devant les yeux les mouvements de cet homme et ses manifestations qui sont, nous en sommes sûrs, les modes d'expression de sa sensibilité et de sa volonté. De plus, nous admettons encore qu'il y a un rapport nécessaire entre les actes et leur cause; mais quelle est cette cause? Nous ne la sentons pas en nous, nous n'en avons pas conscience comme quand il s'agit de nous-mêmes; nous sommes donc obligés de l'interpréter, de la supposer d'après les mouvements que nous voyons