Page:Zola - Le Roman expérimental, 1902.djvu/64

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On a dit souvent que les écrivains devaient frayer la route aux savants. Cela est vrai, car nous venons de voir, dans l'Introduction, l'hypothèse et l'empirisme précéder et préparer l'état scientifique, qui s'établit en dernier lieu par la méthode expérimentale. L'homme a commencé par risquer certaines explications des phénomènes, les poètes ont dit leur sentiment et les savants sont venus ensuite contrôler les hypothèses et fixer la vérité. C'est toujours le rôle de pionniers que Claude Bernard assigne aux philosophes. Il y a là un noble rôle, et les écrivains ont encore le devoir de le remplir aujourd'hui. Seulement, il est bien entendu que toutes les fois qu'une vérité est fixée par les savants, les écrivains doivent abandonner immédiatement leur hypothèse pour adopter cette vérité; autrement, ils resteraient de parti pris dans l'erreur sans bénéfice pour personne. C'est ainsi que la science, à mesure qu'elle avance, nous fournit, à nous autres écrivains, un terrain solide, sur lequel nous devons nous appuyer pour nous élancer dans de nouvelles hypothèses. En un mot, tout phénomène déterminé détruit l'hypothèse qu'il remplace, et il faut dès lors transporter l'hypothèse plus loin, dans le nouvel inconnu qui se présente. Je prendrai un exemple très simple pour me mieux faire entendre: il est prouvé que la terre tourne autour du soleil: que penserait-on d'un poète qui adopterait l'ancienne croyance, le soleil tournant autour de la terre? Evidemment, le poète, s'il veut risquer une explication personnelle d'un fait, devra choisir un fait dont la cause n'est pas encore connue. Voilà donc ce que doit être l'hypothèse, pour nous romanciers expérimentateurs; il nous faut accepter strictement