Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/130

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de Roumieu la plongeait dans des extases sans fin. Quand il la saluait dans la rue, elle était comme frappée d’une secousse, elle devenait toute rouge de joie. On n’a jamais pu concevoir par quels éloges, par quelle marche adroite et envahissante, le notaire avait pu pénétrer si loin dans ce cœur que fermait une dévotion exagérée. Lorsque la vieille dame mourut, elle dépouilla ses héritiers directs et laissa ses cinq cent mille francs à Roumieu. Tout le monde s’attendait à ce dénouement. »

Il y eut un silence.

« Tenez, reprit Revertégat, je puis encore vous citer un exemple... L’anecdote contient toute une comédie cruelle, et Roumieu y fit preuve d’une souplesse rare... Un nommé Richard, qui avait amassé dans le commerce plusieurs centaines de mille francs s’était retiré au milieu d’une honnête famille qui le soignait et égayait sa vieillesse. En échange de cette amitié prévenante, l’ancien négociant avait promis à ses hôtes de leur laisser sa fortune. Ceux-ci vivaient dans cette espérance ; ils avaient de nombreux enfants et comptaient les établir d’une façon honorable. Mais Roumieu vint à passer par là, il fut bientôt l’ami intime de Richard, Il l’emmena parfois à la campagne, il accomplit en grand secret son œuvre de possession. La famille qui logeait le commerçant retiré ne se douta de rien, elle continua à soigner son hôte, à attendre l’héritage ; pendant quinze ans, elle vécut ainsi dans une douce quiétude faisant des projets d’avenir, certaine d’être heureuse et riche. Richard mourut, et, le lendemain, Roumieu héritait, au grand étonnement et au grand désespoir de cette famille volée dans son affection et dans ses intérêts... Tel est le chasseur d’héritages. Lorsqu’il marche, on n’entend pas le bruit de ses griffes sur la terre ; ses bonds sont trop rapides pour qu’on puisse les mesurer : il a déjà sucé tout le sang de sa proie, avant qu’on ne l’ait vu s’accroupir sur elle. »

Fine était révoltée.