Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

lui et, dès lors, il put étaler largement ses appétits dans Marseille. Il se contentait, le matin, de faire ses comptes et d’empocher l’argent gagné.

L’existence rêvée commença. Sauvaire se fit recevoir d’un cercle. Il joua, mais avec prudence, trouvant que la volupté du jeu ne vaut pas les sommes qu’on perd : il voulait s’amuser pour son argent, il cherchait des plaisirs solides et durables. Il mangea dans les meilleurs restaurants, il eut des femmes qu’il étala devant la foule. Sa vanité était délicieusement chatouillée, lorsqu’il pouvait se vautrer sur les coussins d’une voiture à côté d’une vaste jupe de soie. La femme n’était rien, la robe de soie était tout. Il traînait la robe de soie dans des cabinets particuliers, et il ouvrait les fenêtres, pour que les passants pussent voir qu’il était en partie fine avec une dame bien mise, et qu’il se faisait servir des plats très chers. D’autres auraient baissé les jalousies, poussé le verrou ; lui, rêvait d’embrasser ses maîtresses dans une maison de verre, afin que la foule fût bien persuadée qu’il était assez riche pour aimer de jolies femmes. Il entendait l’amour à sa manière.

Depuis un mois, il vivait dans le ravissement. Il avait fait la rencontre d’une jeune femme dont la connaissance chatouillait son amour-propre. Cette jeune femme était la maîtresse d’un comte, on la citait comme une des reines du demi-monde marseillais. Elle se nommait Thérèse-Armande, mais on la désignait habituellement sous le nom familier d’Armande.

Lorsque Armande mit pour la première fois sa petite main gantée dans la main large de Sauvaire, le maître portefaix faillit s’évanouir de joie. Cette poignée de main s’échangeait sur les allées de Meilhan, devant la porte de la maison habitée par la lurette, et les passants se retournaient pour voir cet homme et cette jeune femme qui s’adressaient des sourires et se faisaient des révérences. Sauvaire s’en alla, gonflé d’orgueil, s’extasiant sur la toilette et sur les bonnes manières d’Armande. Il n’eut plus qu’une pensée : avoir cette femme pour maîtresse,