Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/146

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supplanter un comte, promener à son bras des dentelles et du velours.

Il guetta Armande, se mit sur son passage. Il devenait amoureux des chiffons luxueux qu’elle portait et des parfums qu’exhalaient ses vêtements. Il était fier d’être salué par elle, de paraître un de ses amis, et il ne lui aurait surtout pas déplu de passer pour un de ses amants. Un soir, il monta chez elle et n’en sortit que le lendemain. Il crut à une victoire remportée par les charmes de sa personne. Pendant huit jours, il fut d’une fatuité insupportable, il regardait les passants d’un air de pitié moqueuse. Quand Armande était à son bras, sur un trottoir, la rue ne lui semblait pas assez large. Le balancement, le bruit frissonnant des jupes de sa maîtresse le jetaient dans une extase recueillie. Il adorait les crinolines qui tiennent beaucoup de place et qui gênent la circulation.

Il contait sa bonne fortune à tout le monde. Cadet fut un de ses premiers confidents.

« Ah ! si tu savais ! lui dit-il, la charmante personne, et comme elle m’adore !... Il y a de tout chez elle, des tapis, des rideaux, des glaces. On se croirait dans le monde, parole d’honneur !... Et, avec cela, pas fière du tout, bonne fille, la main toujours ouverte... Hier, j’ai déjeuné dans son petit salon ; puis, nous avons pris une voiture découverte et nous sommes allés au Prado. Tout le monde nous regardait... Il y a de quoi mourir d’aise, en compagnie d’une pareille femme. »

Cadet souriait. Il rêvait l’amour d’une forte fille, Armande lui faisait l’effet d’une poupée mécanique, d’un jouet fragile qu’il aurait brisé dans ses doigts. Mais il ne voulait pas contrarier son patron, il s’extasiait avec lui sur les charmes de la lorette. Le soir, il contait à Fine les folies de Sauvaire.

La bouquetière avait repris sa place dans son petit kiosque du cours Saint-Louis. Elle vendait ses fleurs, l’œil aux aguets, cherchant les occasions de venir en aide à Marius. Elle ne perdait pas de vue l’emprunt des