Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

filles déchues étaient d’une ignorance crasse ; elles s’habillaient mal, savaient à peine parler, étalaient un luxe mesquin et ignoble, s’abandonnaient bêtement. Armande les écrasa de toute son élégance et de tout l’esprit qu’elle avait acquis çà et là, en se frottant à des gens bien élevés. Elle devint en peu de mois une sorte de célébrité mondaine.

Chez elle, comme le disait naïvement Sauvaire, elle prenait des airs de duchesse. Un goût exquis avait présidé à l’ameublement de son logis.

Elle ouvrit son salon, elle attira les jeunes gens riches par le bruit qu’elle faisait faire autour d’elle, et les retint par sa bonne grâce et la distinction de ses manières. La femme entretenue perçait à peine sous la maîtresse de maison. Elle avait des amants elle les montrait même volontiers ; mais, en public, dans ses soirées, elle gardait une décence dont on lui tenait grand compte. Elle était le type du vice élégant, parfumé, spirituel.

Elle s’entoura peu à peu de tous les viveurs de la ville. Elle n’admettait d’ailleurs que des gens riches, gagnant beaucoup et dépensant plus encore. Dans les commencements, elle n’eut qu’à choisir ses victimes ; une foule était à ses pieds. Elle croqua à belles dents plusieurs fortunes, vivant en plein luxe, fournissant aux besoins de son train qui étaient énormes.

Les gens sages la regardaient comme une véritable plaie, comme un gouffre sans fond où allaient s’engloutir les capitaux des jeunes commerçants marseillais. Les femmes entretenues, ses rivales, la déchiraient, l’accusaient d’intrigues honteuses, elles tournaient en moquerie son visage maigre, ses rides précoces ; elles disaient qu’elle était laide – ce qui était presque vrai –, et déclaraient ne rien comprendre à l’engouement que ces imbéciles d’hommes avaient pour cette créature. Armande les laissait dire, et régnait tranquillement. Pendant plusieurs années, elle les domina par son esprit, par son luxe, par sa science de femme élégante et raffinée.