Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/152

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On allait chez elle en habit noir et en cravate blanche.

Puis, sans cause apparente, tout d’un coup son crédit baissa. La gêne vint et fit des trous dans son luxe. Sans doute sa mode était passée, les amants généreux manquaient. Elle tomba dans les transes de cette demi-misère qui porte de la soie et marche sur des tapis. Sentant qu’elle allait rouler dans le ruisseau, si elle ne faisait pas des efforts pour garder son appartement de grande dame, elle lutta avec désespoir contre la mauvaise chance. Elle comprenait que son prestige venait uniquement de sa richesse apparente, de ses toilettes, de l’argent qui lui permettait de jouer à l’aise son rôle de duchesse déclassée. Le jour où la soie lui manquerait, où elle fermerait son salon, elle savait qu’elle deviendrait une pauvre fille, une créature laide et fanée dont personne ne voudrait plus. Aussi déploya-t-elle une énergie fébrile pour trouver des amants, pour se procurer de l’argent à tout prix.

C’est à cette époque qu’elle fit la connaissance d’une dame Mercier, qui lui avança quelques fonds à un taux exorbitant. Elle avait dupé tant de jeunes imbéciles, qu’elle se laissa duper à son tour, sans trop se plaindre. Elle espérait d’ailleurs faire payer le capital et les intérêts des sommes empruntées, au premier homme riche dont elle serait la maîtresse. Les hommes riches ne se présentèrent pas ; et elle devint de plus en plus inquiète.

Armande, poussée par la nécessité, sentant chaque jour sa beauté, son gagne-pain, s’en aller avec son luxe, en arriva au crime. Déjà, pour calmer les exigences de ses créanciers, elle avait dû vendre des glaces, des meubles, des porcelaines ; sa maison se vidait, elle voyait peu à peu les murs se dénuder et elle songeait avec effroi à l’heure où elle se trouverait, lasse et vieillie, entre quatre murailles nues. Les tapissiers, les modistes, tous les fournisseurs auxquels elle devait, devenaient plus âpres en flairant la ruine prochaine de leur cliente ; ils savaient que les amants se faisaient rares, ils exigeaient le remboursement