Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Sauvaire : Elle lâcha pour lui un comte qu’elle avait ruiné, croyant que le maître portefaix était riche et généreux. En d’autres temps, lorsqu’elle était la reine de Marseille et qu’elle étalait insolemment son velours et ses dentelles, elle aurait regardé Sauvaire du haut ; de la fortune et de l’élégance de ses amants. Mais maintenant elle ne dédaignait plus aucune proie ; elle s’attaquait à la foule, et se serait volontiers mise à ramasser de l’argent dans des mains sales. L’ancien ouvrier prit pour de la tendresse la nécessité qui poussait la jeune femme dans ses bras. Au bout de quelques mois, elle s’aperçut avec terreur que son nouvel amant avait l’économie prudente du parvenu et qu’il s’appliquait en égoïste tout l’argent qu’il dépensait. Deux ou trois des billets faux ne furent pas payés, la dame Mercier commença à se fâcher.

Les choses en étaient là, lorsque, un soir, Marius se rendit naïvement chez la lorette. Il croyait encore trouver dans son salon une partie de la riche et nombreuse société à laquelle son frère l’avait présenté. Il rêvait vaguement de lier connaissance avec quelque jeune négociant qui lui viendrait en aide ; et il comptait même un peu sur Sauvaire, dont Fine avait volontairement exagéré l’obligeance.

Il fut très étonné de trouver le salon vide. Une seule lampe éclairait cette grande pièce, qui lui parut singulièrement nue. Sauvaire était à demi couché sur un vaste divan, et il semblait digérer avec affectation le dîner qu’il venait de faire, lâchant quelques boutons de son gilet et tenant un cure-dents entre ses doigts. À côté de lui, assise dans un fauteuil, Armande lisait Graziella, en appuyant rêveusement le front sur la paume de sa main gauche. Une levrette, qu’elle nommait Djali, était couchée à ses pieds, la tête posée le long de ses pantoufles de velours cerise.

Un des moyens de séduction employés par Armande était de lire devant ses amants les œuvres de grands poètes modernes. Elle avait une petite bibliothèque, où