Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/192

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montrait, ses gestes convaincus, le faisaient ressembler à un inventeur sincère qui expliquerait tristement, mais sans honte, pourquoi son invention n’a pas réussi.

« N’entrons pas dans les détails, reprit-il, écartons les affaires Authier et Mouttet qui sont de peu d’importance. Ce qu’il faut voir et juger, c’est l’ensemble de la machine vaste et compliquée que j’étais parvenu à établir... Vous vous étonnez de ma complaisance. Je vous le répète, je suis perdu, je puis parler sans craindre de me compromettre. Je trouve même une sorte de plaisir à vous expliquer mon invention. »

Il se posa devant Marius en homme qui a une histoire intéressante à conter. Il jouait toujours négligemment avec le couteau à papier.

« Avant tout, dit-il, je reconnais avec vous que j’ai failli à mon mandat et que je suis un grand criminel, si l’on me considère comme un notaire. Mais je me suis toujours regardé comme un banquier, comme un manieur d’argent. En un mot, veuillez ne voir en moi qu’un spéculateur... Lorsque je succédai à mon ancien patron, l’étude n’avait qu’une assez maigre clientèle. Mes premiers efforts ont tendu à faire de cette étude le centre d’un grand mouvement d’affaires. Il m’a fallu contenter toutes les demandes, prêter à qui avait besoin d’argent, emprunter à qui ne savait où placer, vendre à qui désirait acheter, acheter à qui cherchait à vendre. J’ai imité les chasseurs qui s’entourent d’oiseaux en cage pour appeler les oiseaux libres ; j’ai créé une quarantaine de personnages imaginaires, sous les noms desquels j’ai pu faire des transactions de toute espèce. Authier, je vous l’avoue, est un de ces personnages. Il m’a été ainsi permis d’acheter un grand nombre d’immeubles que j’ai payés au moyen d’emprunts faits par les acquéreurs fictifs et en donnant des hypothèques sur ces immeubles... Je me suis formé de la sorte un capital, un roulement de fonds, une clientèle nombreuse qui ont servi de base à mon crédit. »