Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/195

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l’heure... Il me reste à vous parler de ma meilleure invention. Pour gérer les immeubles acquis et faire valoir les sommes empruntées, j’imaginai d’établir des procureurs fondés, qui représenteraient habituellement mes quarante personnages imaginaires ; et je choisis pour procureurs fondés des jeunes gens honorables, dont je me fis des complices inconscients. J’avais foi en mon système, j’aurais à coup sûr enrichi ceux qui m’aidaient, si de fâcheuses circonstances ne m’avaient empêché de réussir. Lorsque je vous ai offert de représenter Authier, je voulais uniquement, je vous le répète, vous venir en aide et vous faire participer aux gains d’une spéculation que je croyais excellente. »

Ces dernières paroles exaspérèrent Marius. Il était à bout de courage, il sentait qu’il allait devenir fou, s’il continuait à entendre les étranges discours de Douglas.

« Je vous ai écouté patiemment, dit-il en frémissant. Les gredineries que vous venez de me conter avec une rare impudence me prouvent que vous êtes un imbécile ou un coquin.

– Eh ! non, interrompit le notaire en frappant du poing sur son bureau. Vous ne m’avez pas compris, décidément. Je vous l’ai répété quatre ou cinq fois, je suis un banquier... Écoutez-moi par grâce. »

Douglas s’était levé. Il se posa devant Marius. Rien dans son attitude n’indiquait la peur ni la honte.

« Vous m’avez appelé coquin et voleur, dit-il doucement, et je vous ai laissé m’insulter, car vous m’accusiez au nom de la société, vous parliez comme un procureur du roi qui jugerait légalement ma conduite. Vous devez vous placer à un autre point de vue, si vous voulez me comprendre... Raisonnons un peu. Un voleur, n’est-ce pas, est celui qui dérobe le bien d’autrui et qui s’enfuit, lorsque ses poches sont pleines. Jamais je n’ai eu la pensée du vol. Il y a six ans que j’applique mon système, et je suis plus pauvre que le premier jour ; mes opérations n’ont pas réussi, j’ai même perdu quelques