Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/197

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gain qu’on tire plus ou moins habilement d’un capital. Voyez à la Bourse, on trafique sur de simples suppositions. Admettez un instant qu’en achetant et en vendant des immeubles, à l’aide de l’argent des autres, j’aie réussi à doubler le capital que je m’était procuré illégalement : je remboursais intégralement ce capital, je ne volais personne, je détruisais les actes faux, et je me retirais avec une fortune gagnée par mon travail et mon intelligence. C’est là tout mon système. N’ayant pas de fortune personnelle, il m’a fallu emprunter à mes clients la mise de fonds nécessaire à toute opération. Ce n’était pas un vol, c’était un simple emprunt. »

En entendant les raisonnements clairs et logiques de Douglas, une sorte de terreur s’emparait de Marius. Le notaire grandissait terriblement à ses yeux. Pendant un moment, il le regarda comme un génie déclassé qui avait employé dans le mal de rares facultés d’énergie et d’audace. Si cet homme avait eu de larges moyens d’action, peut-être aurait-il accompli de grandes choses. Au fond de tout criminel de la taille de Douglas, il y a des qualités supérieures.

Marius s’étonnait surtout de la façon simple et naturelle dont le notaire parlait des faux qu’il avait commis. Un détraquement avait dû se produire dans cette intelligence. Cet homme était malade, la fièvre de spéculation qui le brûlait l’avait peu à peu amené à considérer le crime comme un moyen excellent, pourvu que le crime restât caché et impuni. Il le disait lui-même tout faussaire qu’il était, il croyait rester honnête, du moment où il ne faisait perdre un sou à personne.

Après un silence, Douglas reprit en hochant la tête :

« Les systèmes sont toujours beaux, la pratique seule vous fait ouvrir les yeux sur les défauts du raisonnement. En théorie je devais gagner une immense fortune. Je ne sais comment les choses ont tourné, je me trouve écrasé de dettes, et je vois bien que je suis perdu... J’ai englouti plus d’un million dans mes opérations malheureuses, ma clientèle est ruinée... »