Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/203

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chagrin, il accourait encore pour tout lui conter et recevoir ses consolations. Là seulement, au fond de cette mansarde propre, qui sentait bon et qui avait des gaietés claires, il vivait à l’aise, dans une tristesse attendrie. Un soir, il voulut absolument aider la jeune fille qui faisait des bouquets pour la vente du lendemain ; il prit un plaisir d’enfant à ôter les épines des roses, à réunir les oeillets en minces touffes, à prendre une à une, délicatement, les violettes et les marguerites, qu’il présentait ensuite à Fine. Dès lors, il devint fleuriste, de huit à dix heures. Ce travail l’amusait disait-il, et calmait ses inquiétudes. Lorsqu’il touchait les doigts de Fine, en lui offrant les fleurs, il sentait des chaleurs douces lui monter au visage ; le malaise étrange, l’émotion pénétrante qu’il éprouvait alors, était sans doute la seule cause de la vocation subite qu’il avait montrée pour l’état de fleuriste.

Certes, Marius était un naïf. On l’aurait beaucoup étonné, on l’aurait même blessé, en lui démontrant qu’il devenait amoureux de Fine. Il se serait écrié qu’il se savait bien trop laid pour oser aimer la jeune fille, et que d’ailleurs un pareil amour, né et grandi à l’ombre du malheur de son frère lui semblerait un crime. Mais son cœur aurait bientôt protesté. Jamais Marius n’avait vécu dans l’intimité d’une femme. Il s’était laissé prendre au premier regard affectueux. Fine, le consolant, l’encourageant, ayant toujours pour lui un sourire caressant et une tiède poignée de main, lui parut d’abord être tout à la fois une sœur et une mère que le ciel lui envoyait dans son amertume. La vérité était qu’à son insu cette sœur, cette mère devenait une épouse, une épouse qu’il aimait déjà de toute la passion tendre et dévouée de son cœur.

Et cet amour devait naître forcément, entre deux jeunes gens qui pleuraient et qui souriaient ensemble. Le hasard les avait rapprochés et leur bonté les mariait. Ils étaient dignes l’un de l’autre, il y avait en eux la sympathie toute-puissante du dévouement.